Promenons-nous dans le Bois Lejuc en cette fin d’enquête publique !

Vendredi 22 octobre, accompagnée d’une équipe de journalistes, l’Eodra est allée faire un tour du côté du Bois Lejuc, menacé par le projet Cigéo, double poumon de la commune de Mandres-en-Barrois et de la lutte contre l’enfouissement des déchets nucléaires. Symbolique pour nous, stratégique pour l’Andra. Si le projet était déclaré d’utilité publique, c’est le défrichement de dizaines d’hectares qui se profile. Aujourd’hui, si le bois appartient à l’Andra, de nombreux recours juridiques courent toujours pour contester cette propriété. Depuis l’expulsion des opposant-es à Cigéo qui l’ont occupé pendant presque deux ans, il est devenu inaccessible, même pour les habitant-es du territoire. Des caméras sont installées et préviennent la milice privée de l’Andra à chaque mouvement (pour plus d’infos, lire cet article de Reporterre « A Bure, l’Andra se paie des gendarmes »). Gendarmes en jeep, famas sous le bras rappliquent illico presto pour contrôler la présence des audacieux-ses promeneurs et promeneuses, aventureux-ses cueilleurs et cueilleuses de champignons, et brandissent des amendes de 500 euros.

Mais jouir de la forêt n’est pas interdit pour tout le monde ! Le tout nouveau directeur de l’Andra joue la carte de la séduction en distribuant cyniquement des parties de chasse dans le Bois Lejuc aux agriculteurs et autres chasseurs du coin …

Se balader coûte cher et il est vrai que nous ne nous risquions plus à aller nous y promener ces temps-ci. Mais ce jour-là, entourés par les caméras de deux journalistes d’une chaine de TV nationale, quelques membres de l’Eodra ont décidé de braver les craintes des contrôles et d’interpellations, et de retourner dans ce bois dans lequel elle avait déclaré son siège social en soutien à l’occupation.

A l’entrée du Bois Lejuc, une affiche A4 accrochée dans un arbre aux couleurs passées et illisible (il faut lever la tête !) nous signifie qu’il est interdit d’entrer.

 

De l’autre côté du chemin, un panneau-affiche informe de l’enquête publique en cours alors même que nous ne sommes pas censé-es pouvoir franchir l’orée du bois. On se demande pour qui : les sangliers ? les oiseaux ?

Assez rapidement, une voiture apparaît en provenance de Bure et se dirige vers nous. Des gendarmes en Duster, la conduite hésitante, font un demi-tour un peu ridicule devant nous pour finalement nous frôler et emprunter la voie romaine qui longe le bois. Il n’y aura pas de contrôle… la présence des médias peut-être ?

un demi-tour hasardeux

 

 

ça s’en va, ça se cache, et ça revient !

Mais alors qu’ils font demi-tour un autre véhicule arrive en face, nous sommes pris en sandwich. Des gendarmes très sûrs d’eux en sortent et nous affirment : « Vous savez que c’est interdit d’aller dans le bois ?! ». Nous demandons un document attestant de cette interdiction, nous aimerions bien qu’ils nous expliquent ça car il ne suffit pas de l’invoquer ! « Vous devriez avoir un document à nous montrer, un arrêté interdisant l’accès au bois par exemple » dit un élu. L’un d’entre eux nous répond « oui, oui »… On se regarde. On dirait bien qu’il va nous montrer ce fameux papier… Puis il fait signe à sa bande de s’éloigner.

Mais ils ne reviennent pas. L’interview reprend alors sous le regard des huit gendarmes un chouilla médusés, ils ne l’interrompront pas.

L’un d’entre eux va et vient, téléphone collé sous l’oreille, les coups de fil aux supérieurs s’enchaînent. On entend des bribes de conversation : « ils nous demandent de justifier, je voulais m’assurer de l’argumentaire » dit l’un d’entre eux à celui qu’il appelle « mon lieutenant ». « Ok ça je le savais, mais je voulais connaître l’argumentaire exact » ajoute-t-il.

« Ils nous demandent de justifier l’interdiction mon lieutenant »

 

Nous comprenons rapidement que des gendarmes sont dépêchés sur place pour nous interdire un lieu mais sans la possibilité de nous justifier cette interdiction, sans document, ni argumentaire. Vingt minutes passent. Ils attendent, écoutent l’interview et finissent par montrer des signes d’impatience. Un des véhicules finit par s’en aller.

« Bon, qu’est-ce qu’on fait chef ?! »

 

C’est finalement nous qui nous redirigerons vers eux afin d’en savoir plus. On leur dit que nous sommes justement là pour vérifier s’il y a une interdiction réelle de rentrer dans le bois car si c’est le cas, ils doivent être en mesure de nous la signifier. Un gendarme sort du silence, fort hésitant « nous vous confirmons l’interdiction mais nous n’avons rien à vous montrer ».  Une élue raisonne alors ironiquement à voix haute « finalement, on vous fait garder un bois dans lequel on a le droit d’aller quoi ? », et un collègue à sa droite la complète sur le même ton « en gros vous interdisez aux gens de rentrer dans un bois qui est autorisé ! ».

« C’est vous qui disez (sic) que l’on garde le bois ! » répond un gendarme, déclenchant à la fois rires et soupirs. Nous lui faisons remarquer qu’il y a des caméras, que dans les minutes qui ont suivi notre arrivée au bois, deux véhicules de gendarmerie sont arrivés, que, ces derniers mois, des personnes ont été menacées d’amendes alors qu’elles ne faisaient que se promener : « Que faites-vous là si ce n’est pas garder le bois, vous venez chercher des champignons avec nous ? » *

« Et vous, vous en avez trouvé ? » dit le gendarme qui semble saisir l’opportunité de ne pas répondre à la raison de sa présence ici.

« Alors, ce bois est interdit ou il n’est pas interdit ?! à priori il n’y est pas ! » s’impatiente le porte-parole de l’Eodra. « Vous devez être en capacité de nous le dire sinon c’est un défaut d’information. Là vous nous dites que nous sommes en infraction mais vous ne nous expliquez pas pourquoi ».

« Moi je ne dis pas qu’il y a une infraction commise – à ma connaissance il y a une interdiction c’est tout ce que je peux vous dire » répond un représentant des forces de l’ordre un peu ébranlé et qui commence à s’empêtrer dans les failles de son argumentaire.

Le maire d’une commune haut-marnaise prend alors la parole en expliquant que dans sa commune, il y a une obligation d’affichage lorsque sont pris des permis de construire, des interdictions de circulation ou des travaux.

« C’est votre point de vue » répond le gendarme du bout des lèvres. Nous nous regardons. Non, ce n’est pas notre point de vue, c’est la réglementation !

Alors que suite à un haussement de sourcil perceptible du gradé, l’ensemble des gendarmes remonte en voiture, un élu conclut à voix haute : « C’est très bien, nous avons donc pu constater que nous pouvions nous promener dans ce bois. »

L’Eodra s’est donc empressée de communiquer :

 

…. Quelques jours plus tard 

Nous sommes dimanche 24 octobre, le lendemain de la mobilisation à Montiers-sur-Saulx organisée pour la fin de l’enquête publique sur la demande d’utilité publique (dont vous pouvez lire le récit ici : https://onestpasdup.noblogs.org/post/2021/10/23/cloture-de-lenquete-publique-ni-dup-ni-dac-ramene-ta-meuse-ta-haute-marne-et-tes-vosges/) Après une petite assemblée de lutte, nous décidons de profiter de la bonne nouvelle – la voie est libre dans le bois ! – pour y retourner à quelques dizaines, apprécier la parure automnale du Bois Lejuc, et permettre aux comités de soutien venus d’un peu partout de profiter jusqu’au bout de cette virée jusqu’à Bure !

Sauf que cette fois-ci, l’entrée du bois était bien gardée et les gendarmes ont brandi avec fierté l’ordonnance d’interdiction d’accès au bois. (Vous trouvez une numérisation de l’ordonnance ci-dessous ; nous en conseillons la lecture drôle et instructive).

« C’est vous qui dites qu’on garde le bois ! »

un comité d’accueil bien déterminé à faire appliquer son ordonnance sortie du chapeau !

Suite à ce blocage, la balade a été ré-orientée sur la voie romaine (le long du bois lejus) suivi de l’escorte de gendarme veillant de prêt au respect de l’itinéraire.

On vous a vu !!

Certain.es camarades ont tourné la situation au ridicule rendant le moment drôle et détendu. Notamment, avec cette scène improbable où le groupe se mit a chanter « supprimer la vidéo, supprimer la vidéo » pour forcer l’officier le plus gradé à supprimer une vidéo qu’il venait de prendre. L’officier fini par accepter mais la technologie le dépassant il échoua… Ainsi une copaine masquée proposa son aide (sympa t’as vu), l’officier consenti, et voilà la copaine qui accéda au téléphone de l’officier et supprima la vidéo d’un groupe de discussion whatsapp… groupe nommé « Cellule Bure ».ordonnance-16septembre